Dans un pays très
contrôlé par les forces de l’ordre, les stades ont été un des lieux de friction
et de confrontation, étant donné qu’ils font partie des seuls endroits de
regroupement de foule et de défoulement collectif. Les éventuels incidents sont
spontanés et concernent surtout le déroulement du match. Les bagarres entre
supporters et avec les forces de l’ordre découlent généralement de cela. Par
ailleurs, les fumigènes et les artifices étant d’abord interdits, les policiers
présents en bas de la tribune n’hésitaient pas à monter dans celle-ci pour
interpeller les fautifs, quitte à déclencher des bagarres générales avec le
reste des supporters. Cependant, un certain tournant a eu lieu en 1999, avec le
drame de Béja.
Ville située à 150 km à
l’ouest de Tunis, son club accueillait l’Espérance de Tunis pour une
demi-finale de Coupe de Tunisie. Plusieurs jours avant le match, la tension est
déjà perceptible. L’EST n’est pas seulement le club de la capitale, elle est
aussi à l’époque assimilée directement au pouvoir du Président de la République
Ben Ali, puisque le président du club d’alors, Slim Chiboub, est son gendre. En
outre, les autorités locales prirent la décision curieuse, au nom des valeurs
sportives, de ne pas séparer les supporters. Le match dégénéra en émeute liée à
des motifs sportifs et donc politiques. A priori, les supporters béjaouis
auraient attaqué à coups de pierres leurs homologues espérantistes. Le bilan
officiel fut de 3 morts et un silence fut fait autour des évènements. En
réalité, on parle de 21 morts parmi les fans des 2 camps et même chez les
policiers, sans compter des dizaines de blessés.
Par la suite, les
forces de l’ordre ont mis la pédale douce pour leur action dans les stades,
évitant d’intervenir systématiquement. En conséquence, on a vu beaucoup fleurir
les fumigènes et les feux d’artifice. Cette « libéralisation », ajoutée à
d’autres facteurs (intérêt accru pour le football ou apparition d’Internet),
est probablement à l’origine de la naissance de groupes Ultra’ en Tunisie, au
début des années 2000.
Les Ultras, ce sont
bien évidemment les 4 grands clubs. A l’Espérance, il s’agit des Ultras
Lemkachkhines, nés en 2002 (« lemkachkhines » signifie les plus souriants, vu
les résultats de l’équipe), très inspirés par le Commando Ultra Curva Sud de la
Roma, dont ils ont d’ailleurs adoptés le symbole, la tête de Cochise. Au Club
Africain, il a existé beaucoup de complications autour des groupes,
d’inspiration Ultra’ certes mais visant à rassembler tous les supporters du CA.
Il y eut ainsi, la Curva Nord, le 12, les African Winners et les Leaders
Clubistes, Los Barrachos, North Vandals, Dodgers Clubistes, Chicos Latinos. A
Sousse, les Ultras ont adopté un nom lourd de signification historique : Brigades
Rouges. A Sfax, les Fighters, selon le nom du goupe Ultra’ principal de la
Juventus du moment, se sont créés.
Une deuxième génération
de groupes a vu également le jour. Dans les grands clubs, des petits groupes
ont émergé. Ce sont les cas des Supras Sud et des Blood and Gold à l’Espérance
ou des Fanatics, installés en latérale, à l’Etoile. Par ailleurs, un mouvement
se diffuse vers les autres clubs. Ainsi, pour prendre des exemples, on peut
citer les Bardo Boys du Stade Tunisien ou les Vikings de l’ES Zarzis. Les
petits groupes d’amis n’hésitent plus à prendre un nom.
Les Tunisiens ont
repris l’organisation habituelle des groupes Ultra’, en développant
progressivement des grandes capacités pour la mise en place de tifos, et en y
investissant de plus en plus d’argent Le reste des fans présent dans les
virages participe très bien aux animations, ce qui a permis aux groupes de
gagner sans cesse en complexité et en diversité dans les supports utilisés. A
ce titre, les derbys de Tunis ont constitué de superbes duels entre les 2
virages, afin d’affirmer leur supériorité. Il faut dire que, par rapport aux
ESS et CSS, le CA et l’EST évoluent, selon l’importance du match, dans les 2
plus grandes enceintes du pays, le Stade d’El-Menzah (45 000 places) et le
Stade du 7-Novembre (60 000 places), qui leur offrent nettement plus de possibilités
que les autres Ultras.
En revanche, un autre
aspect du supporterisme organisé n’a pas été réellement suivi. Si les Ultras
ont cherché à améliorer le répertoire des chants de leur virage, ils n’ont pas
« centralisé » le lancement des chants. C’est-à-dire qu’on ne trouve pas
vraiment de capo au mégaphone ou à la sono, s’occupant de gérer les chants pour
le reste de la tribune. Les Ultras sont rarement regroupés en noyau moteur pour
les chœurs. En fait, les chants proviennent d’un peu partout, des Ultras, comme
des bandes de quartiers. Une partie des supporters accepte les actions des
Ultras pour mettre sur pieds les tifos mais reste sur un fonctionnement
spontané pour ce qui est des chants. Les ambiances produites sont inconstantes
avec des hauts et des bas.
Les déplacements
étaient déjà dans la tradition des supporters tunisiens. Les Ultras les ont
juste systématisés, notamment pour ce qui est des destinations à l’étranger.
Profitant de l’industrie textile tunisienne, les Ultras ont développé une gamme
de matériel tout à fait honorable (écharpes, T-shirts, vestes,
casquettes,etc.), dépassant en cela leurs propres clubs, qui viennent juste de
mettre sur le marché des produits dérivés. Pour finir, dans les grands clubs
omnisports, les Ultras suivent aussi le hand-ball, le volley-ball et le
basket-ball.
Le mouvement Ultra’
tunisien est jeune et se compose de supporters plutôt jeunes mais il se trouve
déjà à un tournant. Les Ultras ont été perçus comme positifs initialement,
grâce à leurs tifos. Des reportages ont été consacrés à la préparation de
chorégraphies pour le derby et celles-ci sont vraiment attendues. Néanmoins,
des faits de violence récents (voir les 2 comptes-rendus) ont été interprétés
comme une radicalisation des rivalités dans le football tunisien. D’oppositions
bon enfant entre 2 quartiers ou villes, on serait passé à de véritables
conflits, qui dégénèreraient à chaque rencontre. Est-ce que cela n’existait pas
auparavant ? Est-ce que cela ne dépend pas d’une situation sociale plus large ?
En tous cas, les Ultras ont été en partie montrés du doigt. La sécurité dans
les stades est de nouveau prioritaire et la répression qui l’accompagne
constituera certainement un gros challenge pour les Ultras.
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